Pourquoi alors la presse hexagonale a-t-elle boudé le dernier séjour à Paris de Rafael Correa ? Le 6 novembre 2013, le président équatorien était à la Sorbonne pour décrire le modèle économique en train de s’inventer dans son pays, en insolente rupture avec le dogme de l’austérité et de l’inféodation à la finance auquel les dirigeants européens veulent condamner leurs ouailles. En choisissant de ne pas obéir au FMI et d’imposer une renégociation de sa dette dans des conditions acceptables, l’Équateur, petit pays d’Amérique du Sud, aux prises avec des difficultés sans commune mesure avec celles que peut connaître la puissante Union européenne, s’est sorti par le haut du pétrin dans lequel il s’enfonçait. Pas de coupes dans les dépenses publiques, mais des programmes de redistribution qui ont fait chuter le taux d’extrême pauvreté de 16,9 % à 8,6 % au cours des six dernières années. Pas de dépouillement des droits sociaux par un patronat tout-puissant, mais des investissements publics dans les infrastructures et un taux de croissance (4,5 %) parmi les plus élevés d’Amérique latine. Tout n’est pas rose dans le bilan de Rafael Correa, mais au moins le président équatorien représente-t-il une preuve bien vivante que la politique du bulldozer contre les pauvres adoptée en Europe n’est pas nécessairement la seule envisageable. On ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif Peu de grands médias français – à l’exception du Monde diplomatique et de quelques journaux de presse écrite – ont prêté attention à la visite du président équatorien. Aucune chaîne de télévision ni radio nationale n’a repris le message qu’il souhaitait adresser aux populations européennes : ne faites pas la folie de vous plier aux injonctions des banques, regardez comment l’austérité qu’elles vous infligent aujourd’hui a failli ruiner notre pays par le passé, et comment nous nous en sommes relevés en faisant tout le contraire. Pareil avertissement est-il sans valeur pour le public français ? « On ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif », a chuinté Ivan Levaï, vétéran chez France Inter, quand les comparses de Pierre Carles ont commencé à enquêter sur la question. Mais qui sont les ânes ? Et comment redonner soif à une presse goulument ravitaillée dans l’abreuvoir des experts du CAC 40 ?